Cela peut sembler étrange d’inclure un article sur l’ADN dans notre section Note Nature. Mais en fait, les lecteurs des précédents articles sauront que l’atoll de Tetiaroa est formé entièrement de matériaux organiques qui viennent d’organismes vivants qui possèdent tous de l’ADN dans leurs cellules. Donc le bloc de construction de base de l’ile est la macromolécule d’ADN, celle-ci est présente partout que sa forme soit active ou inactive.
L’ADN est une macromolécule composée de nucléotides présents dans tous les organismes comme les chromosomes. Chaque espèce a son propre arrangement de nucléotides dans son ADN qui peut être décomposé en unités fonctionnelles que l’on appelle gène. Certains gènes partagent leurs fonctions de base avec des organismes variés et d’autres sont plus spécifiques et ne sont partagés qu’avec des organismes liés de très près. D’autres encore sont présents que chez certaines espèces.
Dans chaque organisme, l’assortiment complet de l’ADN est le génome qui est dans toutes les cellules. Donc lorsqu’un fragment de l’organisme (peau, feuille, poil, racine, mucus, excrément ou urine, pollen, des microorganismes en entier) est laissé dans l’environnement, les cellules contiennent de l’ADN qui nous donnent des informations pouvant identifier l’espèce. Même quand les cellules se décomposent et que des brins d’ADN sont libérés dans l’environnement, il est possible de les collecter et d’identifier l’espèce.
Ceci est possible grâce aux avancées en recherches génomiques des 20 dernières années, en utilisant des techniques développées pour décrire le génome humain. Dans l’ile voisine de Moorea, un consortium de chercheurs de UC Berkeley, du Smithsonian, de la station de recherche française CRIOBE, et d’autres ont utilisé des techniques pour créer des « codes-barres génétiques » pour chaque espèce de l’ile, du sommet de la montagne au récif corallien. Le Moorea Biocode Project a ouvert la voie vers une multitude de recherches sur le terrain utilisant des codes-barres. Par exemple, les chaines alimentaires peuvent être développées en utilisant le contenu stomacal d’un poisson (ou oiseau, ou moustique, ou toile d’araignée) en faisant correspondre l’ADN obtenu à la base de données créée par le projet.
Plus généralement, des échantillons d’ADN peuvent être collectés dans l’environnement (eau de mer, eau souterraine, terre) pour voir ce qui s’y trouve (et que l’on appelle e-DNA). En laboratoire, l’ADN peut être extraite et la recherche peut être étendue pour déterminer toutes les espèces dans l’échantillon. Ce “metabarcoding” est utilisé à présent pour estimer la biodiversité des habitats dans le monde entier.
Sur Tetiaroa, les chercheurs se sont occupés à identifier et à développer des codes-barres pour chaque espèce de l’ile. Vu qu’elle n’est qu’à 60 kilomètres de Moorea il est probable que la vaste majorité des espèces de Tetiaroa sont déjà sur la base de données de Moorea, mais il est intéressant de voir s’il existe des différences.
Cependant, pendant que le travail lié au Biocode a lieu, des travaux sur Tetiaroa utilisant l’eDNA ont déjà débuté. Le travail récent d’éradication des rats a fait que les chercheurs ont tenté de détecter des signaux d’ADN dans des échantillons d’eau du lac. Un échantillonnage a été fait avant l’éradication et a trouvé des signaux d’eDNA des deux espèces de rats. Un autre échantillonnage sera effectue dans quelques mois pour voir si les signaux persistent après l’éradication.
Ce travail peut servir d’outil de détection simple de rats dans les iles du monde entier. Ceci dépendra de la sensitivité du signal de l’eDNA. Il est intéressant de signaler que pendant le premier échantillonnage, l’ADN d’un ours noir d’Amérique a été détecté dans un échantillon pris sur le Motu Rimatuu. Après que nous nous soyons rassurés qu’un ours noir n’a pas pu arriver sur l’ile, le mystère a été résolu lorsque l’on nous a rappelé qu’un chercheur en visite sur l’ile avait montré des photos de marquages d’ours noir qu’il avait effectué en Oregon.
Une autre utilisation de l’eDNA prévue sera sur un nouveau projet de détection et d’écologie du poisson-lanterne dans l’océan autour de Tetiaroa. Ces poissons, qui constituent une plus grande biomasse globale que n’importe quel autre groupe de poissons, se déplacent de haut en bas dans la colonne d’eau en suivant des cycles diurnes et devraient laisser des traces d’eDNA chaque nuit quand ils sont près de la surface. Nous espérons que ces échantillons donneront des pistes aux chercheurs sur l’attitude et l’écologie de ces poissons qui sont très importants pour la santé des océans.